En 1987, paraissait American Prospects, livre culte du photographe américain Joel Sternfeld. À la charnière des années 70 et 80, l’ouvrage inaugure une nouvelle vision de l’Amérique. Un pays convaincu de son indépendance et de sa liberté, mais qui, photographié, “apparaît enchaîné à un ensemble de principes et de rêves.”
“Jeune, j’ai d’abord commencé par la peinture, puis j’ai rencontré une très belle femme, qui est devenue une grande poète, elle m’a conseillé : “Pourquoi tu n’utiliserais pas un appareil photo ?” Mais moi, je détestais la photographie ! Je pensais que tous les photographes étaient des idiots : il y avait tant de belles choses à voir dans le monde, et ceux-là passaient leur temps à jouer avec leurs objectifs…
Je voulais être pur et transmettre mes émotions. Et puis finalement, je suis devenu un de ces idiots avec un appareil photo. Il a fallu que je choisisse entre les films couleur et le noir et blanc. J’ai alors photographié la même scène, en noir et blanc et en couleur, juste pour voir la différence.
Et j’ai décidé de garder la couleur pour pouvoir rendre compte des saisons. Personne n’utilisait les films couleur à l’époque, c’était très risqué, un vrai suicide, juste bon pour les photographes commerciaux. Même le galeriste d’Helen Levitt m’a demandé : “Pourquoi utilisez-vous la couleur ? Le noir et blanc est si naturel !”
En fait, je n’ai pas eu le choix. Il fallait absolument que je travaille en couleur. Au début, je m’entraînais pour voir comment les couleurs interagissaient entre elles, j’ai beaucoup été influencé par Josef Albers et aussi par Paul Klee. Tout le monde avait lu le livre l’Interaction des couleurs de Josef Albers, surtout les peintres. J’ai commencé à faire des photos avec ces idées-là.”
• Publié pour la première fois en 1987, ‘American Prospects’ de Joel Sternfeld est un monument de la culture visuelle américaine des années 1980. L’ouvrage offre un portrait spectaculaire, drôle, triste et sobrement fascinant des diverses possibilités et perspectives de l’Amérique sous l’ère Reagan.
Les contradictions sublimes et la tragi-comédie des photographies de Sternfeld sont sans aucun doute l’une des plus grandes réalisations de la photographie contemporaine couleur.
A bien y regarder, les indices narratifs sont suggestifs, sournois, souvent ironiques, et mystérieux — faisant d’American Prospects moins une série de photographies qu’une série de contes, inachevés, elliptiques certainement. Ils s’ajoutent à une vision convaincante et persuasive de l’Amérique.
Les images sont prises avec une sorte d’indifférence attachée, ce qui signifie que les sujets, la composition et l’éclairage sont tous soigneusement choisis, mais une qualité documentaire établit une distance entre le spectateur et le sujet.
Tour de force de la photographie américaine, Sternfeld s’inscrit dans la lignée de Robert Frank et Stephen Shore en réinventant radicalement la scène américaine contemporaine.
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